On était bien là bas. On avait passé la journée à visiter un centre monastique au coeur de l’Irlande, là où peu de gens vont. Ce n’était pas prévu, on avait stoppé notre itinéraire pour se poser un peu, c’est long un road trip. On avait trouvé une chouette cabane perdue dans la foret, chez des gens adorables. On était bien. A la fin de cette journée, on s’était dit qu’on irait voir et se balader autour du lac qu’il y avait un peu plus bas de notre cabane. On aurait été si bien.
Je ne conduisais pas, j’étais pas à l’aise en tant que passagère là bas, je préférais conduire mais on s’était partagé les jours de conduite et c’était à lui. J’en profitais pour admirer les paysages et ce vert à perte de vue. Sauf cette fois ci. Pendant que je regardais à travers la vitre en calculant qu’on pourrait même regarder le coucher de soleil au bord du lac, je ressentais les premiers signes.
Ceux qui commencent tout autour de la région pelvienne. Ceux qui embrassent toute la zone de vos fesses, qui les entourent, les enlacent pour mieux les comprimer, les serrer. C’est une drôle de sensation, je n’arrive jamais à la décrire, un serrement, une compression. Tout autour de mes hanches, fesses, pelvis. Elle fait tout le tour. Quasi à chaque fois que je suis assise. Je ne comprendrais que plus tard que le fibrome appuie sur cette zone lorsque je m’assoie. Je n’arrêtais pas de bouger, de soulever mes fesses, me rassoir. Rien n’y faisait, ça ne partait pas.
C’est pas une douleur franche, mais elle n’est pas agréable. Elle est lancinante, insidieuse, vicieuse. Elle commençait à durer longtemps cette fois ci et j’avais hâte qu’on se gare.
Et on s’est garé. Il a commencé à avancer devant moi pour une envie pressante je crois. Et moi je me suis levée. J’ai commencé à marcher.
Et j’ai vécu surement le pire moment de cette histoire avec mon fibrome. Un ballon de baudruche venait d’éclater dans ma culotte.
Une sensation d’explosion. Une poche d’eau qui se vide.
Et le liquide qui coule. Chaud. Visqueux. Qui coule le long des cuisses. Qui ne s’arrête pas de couler.
J’avais un pantalon de randonnée assez fluide. J’étais tombée dans la boue la veille au bord de falaises (merci le vent irlandais). J’ai su. J’ai senti. J’ai passé la main sur mes fesses et j’ai regardé cette main. Rouge. Ensanglantée. Il s’est retourné pour savoir si j’arrivais et m’a vu. Grimaçant. Commençant à gémir et me tordre de pleurs. Il m’a demandé ce qui se passait et je lui ai montré. Ma main. Ma main rouge de sang. Il ne comprenait pas et a compris en même temps. Et je me suis effondrée. Que m’arrivait-il ?
On a installé un sac plastique sur le siège de la voiture. Je m’y suis installée tant bien que mal. Je commençais à trembler, je ne m’arrêtais pas de pleurer. J’étais tétanisée, comme en état de choc. Il a roulé vite pour rentrer. Cela m’a paru interminable.
On est rentré. Je suis vite allé enlever ce pantalon. Me mettre sous une douche et frotter. Laver. Rincer. Ce corps qui n’était pas le mien à ce moment là. Je ne le reconnaissais pas. Pourquoi il m’avait fait ça ? Ici, maintenant ? J’avais peur qu’il vienne gâcher mes vacances mais pas comme ça. Je ne m’arrêtais pas de pleurer.
Je suis sortie pour laver mon pantalon. Il voulait m’aider. Je ne voulais pas. C’était le mien. Mon sang. A moi de le faire.
Il avait allumé un feu de bois, sorti deux bières. Je ne pouvais ni parler, ni boire. Mais je me suis installée sous une couverture. Au coin du feu. Je pleurais encore. Je l’ai regardé et je l’ai encore plus aimé.